Scrapbook des Fleurs jumelles
Scrapbook des Fleurs jumelles, Pointe sud de Manhattan :
« La porte vole d’un coup d’épaule. Les deux flics débouchent sur le toit. La vue plongeante sur la ville leur jette à la face une perspective infinie de piques et de pieux dressés vers le ciel. L’île est ceinturée par deux anneaux d’acier trempés de soleil, l’Hudson et l’East River, convergeant vers le sud au niveau des Fleurs jumelles. »
« À la sortie du métro Chambers Street, Lawrence Vitti a le vertige. Des voitures s’élancent vers le ciel par le tremplin du Brooklyn Bridge, dont les haubans d’acier quadrillent l’espace comme des méridiens. Par-delà les échangeurs où fourmillent les automobiles, les bus, les camions, les métros sortant de terre, s’élève le Municipal Building, palais en U de quarante étages néo-renaissant et néo-baroque. »
« Richard Glamm est fasciné par la course du temps. Sa trajectoire obéit, comme tout corps en chute libre, à la loi de l’accélération constante. Mais ce sont les objets qui viennent à lui. La 45e rue et la 6e avenue ont décollé du sol et se précipitent à sa rencontre avec passants, arbustes aux feuillages fauves, taxis jaunes.
Glamm redevient touriste du monde. L’homme d’affaires est confondu par la beauté des voyages que l’on fait sans bagages. Il discerne une nouvelle vie – c’est dommage, si tard. La vitesse modifie tout : il saisit l’arête des choses, éprouve la balistique de l’existence, vue de haut en bas comme un colis fragile et non plus du début à la fin.
New York embrasée par l’été indien lui paraît plus séduisante que jamais. Le patron va l’écraser tout entière avec ses arbrisseaux flamboyants, ses feuilles aussi cassantes que des vitraux, ses feux rouges, ses cabs éclatants. »
« Dakota Building, Central Park West. Le parfum des fleurs coupées diffuse dans le hall d’accueil une fragrance de cosmétiques. L’odeur âcre d’un homme arrivant de l’extérieur se répand soudain, tel un mot jeté sur une page blanche : — Police. »« Dakota Building, Central Park West. Le parfum des fleurs coupées diffuse dans le hall d’accueil une fragrance de cosmétiques. L’odeur âcre d’un homme arrivant de l’extérieur se répand soudain, tel un mot jeté sur une page blanche : — Police. »
« Au nord s’illumine le Chrysler Building. La jeune femme contemple au sommet du gratte-ciel les baies de verre découpées en triangles effilés, disposées en demi-cercle tels des rayons. Éclairées de l’intérieur, les aiguilles couronnant l’édifice forment un diadème évoquant celui de la statue de la Liberté.
« Bien que le soleil soit masqué dans son déclin par les buildings du quartier des théâtres, il fait doux. (…) Le soleil semble prêt à percer sur la gauche d’un des buildings de la 6e avenue. La jeune femme l’attend, le désire. Elle boit un peu de thé, repose sa tasse de faïence, qui émet un son mat en atterrissant sur sa soucoupe. D’un coup, un rayon jaunit le feuillage des arbres et embrase tout le parc. Le soleil flashe Dolorès en la faisant cligner des yeux. Elle se laisse draguer par l’éclair. »
« Au nord s’illumine le Chrysler Building. La jeune femme contemple au sommet du gratte-ciel les baies de verre découpées en triangles effilés, disposées en demi-cercle tels des rayons. Éclairées de l’intérieur, les aiguilles couronnant l’édifice forment un diadème évoquant celui de la statue de la Liberté.
« Bien que le soleil soit masqué dans son déclin par les buildings du quartier des théâtres, il fait doux. (…) Le soleil semble prêt à percer sur la gauche d’un des buildings de la 6e avenue. La jeune femme l’attend, le désire. Elle boit un peu de thé, repose sa tasse de faïence, qui émet un son mat en atterrissant sur sa soucoupe. D’un coup, un rayon jaunit le feuillage des arbres et embrase tout le parc. Le soleil flashe Dolorès en la faisant cligner des yeux. Elle se laisse draguer par l’éclair. »
« La grisaille humide les accueille sur le toit. Gwen laisse errer son regard dans le lointain. Elle semble inviter l’espace à pénétrer en elle, pour lui insuffler la vraie nature de la ville. Après tous les événements qui se sont succédés en si peu de jours, la cité pourtant inchangée lui paraît étrangère, similaire à ces lieux du passé sur lesquels on revient pour tenter de les comprendre.
Ils vont s’accouder à la rambarde. Les deux rivières qui enserrent l’île forment au sud un étau couleur de ciment, une sorte de polder à la circulation ralentie par le brouillard et la distance.
— J’aime cette ville, fait la jeune femme malgré elle.
— Tout y est gris, constate Askins.
— La couleur de la vie, inspecteur. Entre le blanc et le noir…
— Entre la vertu et le vice… opine le policier dans son propre langage.
Dans la rue, les flots du trafic et les pistes sonores demeurent englués au sol comme des écharpes de brume.
— Ou entre deux vices… ajoute le flic d’une voix sourde. »
« Le banquier jette un coup d’œil à sa montre. Il est presque midi. Les grues traversent la ville survoltée par les préparatifs d’Halloween et les flics bloquant le carrefour ne sauraient dire si elles vont construire, ou détruire, ou si elles en reviennent. Une odeur d’essence et de goudron se répand dans l’air stagnant. Dans un toussotement grêle, couvert par le grondement du bouchon et la radio de bord, Novak recrache des poussières lui grattant la gorge. Son chauffeur cubain salue du menton le conducteur his- pano du cab collé à sa portière, stoppe de la main le balancement de la madone pendue à son rétroviseur. »
« Un homme déguisé en devin abandonne ses clés à une rebouteuse qui les balance dans une bourse en forme de citrouille. L’animation s’intensifie dans le hall à l’approche de la soirée d’Halloween. Des groupes se réunissent près de la porte à tambour pour aller rejoindre les différentes parades de la ville.
Vitti s’apprête à jeter les tracts dans une poubelle quand un feuillet attire son attention : « Bâton rouge, destination ultime ! » Sur fond de couleur brique dansent des ombres de sorcières, balais, basses, trompettes… »
« Le jeune homme se sent fatigué. Il se laisse couler sur le lit, branche un casque sur son Plume. Il choisit une chanson de Gainsbourg tirée de la bande originale d’Anna.
Jean-Claude Brialy apparaît à l’écran, dans un col roulé beige, sur le grand tapis roulant du Châtelet. Il est amoureux d’Anna, ne sait où la trouver.
«Ça va pas, ça va pas
Rester immobile, seule façon ici de se mouvoir Ou alors j’m’casse la gueule
Et je m’tue!»
Le regard d’Anna envahit l’image. L’iris de la jeune femme teinte l’écran de particules bleues.
«Mais qu’est-ce qu’elle fait, bon Dieu Elle est là, elle est pas là
C’est pas possible, pas possible Pas possible… Et pourtant
Il me suffit d’fermer les yeux
Et tu es là»…